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Théories du développement de l'enfant pour soutenir les pratiques en multiâge

Le multiâge implique un écart(*) d’âge important et variable entre le plus jeune et le plus vieux du groupe. Dés lors, connaître les étapes du développement de l’enfant est fondamentale pour intervenir adéquatement selon les âges. Certes intervenir, implique de soutenir l’enfant dans ses relations avec les pairs, mais aussi lui donner des défis en lien avec son âge, proposer des solutions selon son âge, expliquer un évènement, une situation ou une activité en tenant compte de l’âge de chacun. Si l’on tient compte des exigences du ministère, il faut, en plus de ce critère variable de l’âge, voir au «développement global et intégré de l’enfant».

Puisque l’argument principalement avancé en contexte multiâge questionne la progression du plus vieux. Les théories cognitivistes de Piaget seront abordées dans un premier temps. Puis celle d’Erikson, basées sur le développement psycho dynamique de l’enfant ; et enfin, seront précisées des notions plus éparses sur le développement psychomoteur.  Chaque théorie sera expliquée brièvement puis mise en lien dans le contexte du multiâge.

PIAGET

Selon Piaget le développement de l’intelligence implique l’interaction de 4 facteurs. Il s’agit de la maturation de l’organisme (structure neurologique), de l’expérience de l’environnement physique (répétition de l’action pour la consolider, expérience physique des objets par contact et manipulation, expérience logico-mathématique en mettant le sujet en action sur l’objet, et non leurs propriétés physiques), de l’influence du milieu social (qualité des interventions éducatives) et de l’équilibration (processus d’autorégulation des 3 précédents facteurs).

Piaget définit des périodes auxquelles sont associés des stades. 2 périodes sont à considérer entre 0 et 5 ans. Il s’agit de la période sensorimotrice (0 à 2 ans) et de la période préopératoire (2 à 6-7 ans) (Cloutier et al., 2005 ; Bergeron et Bois, 2000).

Période sensorimotrice : 0 à 2 ans : intelligence d’action : 6 stades de développement.

Stade 1 : 0 à 1 mois : exercice des réflexes (premières structures de conduite)

Stade 2 : 1 à 4 mois : réactions circulaires primaires (consolidation des réflexes prolongé par un premier niveau de réactions  sensorimotrices) parce que centrées sur le corps, sur l’accomplissement d’un mouvement ou d’un geste de l’enfant. Il y a développement des schèmes primaires que sont la succion, la vision et la préhension. L’enfant reproduit un mouvement effectué par hasard.

Stade 3 : 4 à 8 mois : réactions circulaires secondaires. Le développement de l’intentionnalité se précise. L’objet dans la main devient le centre d’intérêt. L’enfant reproduit sur les objets un résultat obtenu par hasard.

Stade 4 : 8 à 12 mois : coordination des schèmes secondaires. Il ne s’agit plus de faire durer une stimulation. Les actions sont coordonnées dans un but intentionnel. L’enfant est capable de relier les objets fonctionnels aux évènements.

Stade 5 : 12 à 18 mois : réactions circulaires tertiaires. La manipulation et la compréhension de leurs propriété est accrue. Il ne répète plus les actions mais les diversifie pour voir la différence. L’action est intensionnelle et non plus par hasard.

Stade 6 : 18 à 24 mois : invention de moyens nouveaux. L’accomplissement d’actions  est complexifié par des combinaisons mentales. L’enfant peut se représenter la réalité avant d’agir  et donc découvrir une meilleure solution à son problème.

Durant ces différents stades se développe l’acquisition de la permanence de l’objet. L’enfant prévoit la position de l’objet au stade 3, il le cherche s’il disparaît au stade 4. Il comprend les déplacements visibles de l’objet au stade 5 pour se les représenter sans qu’ils soient visibles au stade 6. La représentation symbolique  n’est possible que s’il y a acquisition préalable de la permanence de l’objet (Cloutier et al., 2005, p 163) et donc l’intériorisation de l’image.

En conclusion, pour cette période sensorimotrice, différentes constances apparaissent. L’intelligence est principalement pratique. Les découvertes sont d’abord effectuées par hasard et la compréhension de l’environnement se fait dans l’action. Les instruments d’apprentissage sont les sens et la motricité (Bergeron et Bois, 2000, p 96)

Période préopératoire : 2 à 6-7 ans : système représentatif de plus en plus différencié. 2 phases.

Cette période se traduit par les premières conduites symboliques (imitation différée, jeu symbolique, dessin, image mentale, langage) et précèdent la représentation mentale. Il est important de savoir que ces premières conduites symboliques sont interdépendantes dans le jeu.

Phase préconceptuelle (2 à 4-5ans)

Piaget en définit principalement les limites (égocentrisme, centration, pensée statique, non-réversibilité, préconcepts). Elles sont subordonnées les unes au autres.

La pensée symbolique consiste en l’utilisation de symboles dans la pensée de l’enfant. Elle est basée sur l’image mentale. La pensée n’est plus reliée aux sens mais symbolise désormais le réel. Le jeu symbolique «faire semblant» remplace le jeu d’exercice. Le jeu symbolique a 3 fonctions : fonction compensatrice des frustrations (recréer le réel impossible par le symbolique (vrai four/ carton pour faire un four)), fonction liquidatrice des tensions (transposition symbolique), fonction anticipatrice en reproduisant les conséquences possibles d’un acte posé.

Phase intuitive (4-5 à 6-7 ans).

Il s’agit d’une période de transition vers le stade opératoire. La pensée de l’enfant permet d’envisager les choses de plus en plus extérieures à lui-même. Mais il peut encore, à cet âge là être trompé par ses sens. Les sens laissent place tranquillement à la logique de la période opératoire.

ERIKSON

Erikson définit des stades de développement avec une limite psychosociale à franchir pour chacun d’eux. Comme l’objet de cet article porte sur le multiâge au préscolaire (0-5 ans), seuls les stades qui travers cette période seront évoqués. Ils sont au nombre de 3. Pour chacun d’eux, un problème psychosocial doit être résolu, des dimensions en opposition sont vécues. Chaque stade porte le nom des dimensions en opposition associées (Cloutier et al., 2005 ;  Bergeron et Bois, 2000).

Stade 1 : 0 à 1 an : confiance/méfiance : Défi = Acquisition d’une confiance de bas envers lui-même et envers autrui. La force adaptative de ce stade est l’espoir.

Stade 2 : 1 à 3 ans : autonomie/honte-doute : Défi = Acquisition d’habiletés de contrôle sur soi-même et sur l’environnement. La honte, suppose la conscience de l‘échec et d’être observer dans l’échec. Le doute véhicule l’incertitude de la réussite. La force adaptative de ce stade est la volonté.

Stade 3 : 4 à 5 ans : initiative/culpabilité : Défi = identification (l’enfant réalise qu’il est une personne). Il y a ici ambivalence entre le désir d’initiative  et la culpabilité d’avoir dépassé les limites. Ce stade tient compte de la notion de surmoi développée par Freud. La force adaptative de ce stade est la capacité de se fixer des buts.

Lorsqu’une situation complexe survient plus tard, par exemple la séparation des parents, il est possible qu’il y ait un retour à un stade précédent (Cloutier et al., 2005, p 15). Le contexte social dans lequel vit l’enfant influe sur la résolution des stades (p 16).

DÉVELOPPEMENT MOTEUR

La séquence des acquisitions motrices dépend de la maturation neurologique (myélisation) et est soutenue par les interactions avec l’environnement (motricité fine). La motricité globale ne serait pas influencée par l’environnement (Graham, 1986; Dans Cloutier et al., 2005, p 146).

L’organisation spatiale s’inscrit dans une dimension perceptive pour l’enfant jusqu’à l’âge de 7 ans. Elle se base d’abord sur la manipulation et la locomotion dans l’espace (0-2ans). La pensée représentative l’aide ensuite à intérioriser cet univers spatial grâce aux images mentales (Piaget). La perception des formes grâce aux lignes et aux angles conduit l’enfant à se percevoir dans un espace séparable en différents axes et développe entre autre les capacités d’orientation. Les notions de dessus-dessous, droite-gauche, haut-bas etc. sont des préalables de l’orientation dans l’espace (Lauzon, 1995).

Mise en perspective des théories

Les stades de développement considérés dans des sphères de développement différentes tel que le développement cognitif, le développement psychosocial, le développement moteur sont néanmoins inter-reliés comme le spécifie d’ailleurs le programme éducatif (MFA, 2007). Dés lors, différents points de convergences apparaissent.

Ainsi durant les deux premières années de vie de l’enfant, son intelligence d’action se développe et ce notamment à travers les différents stades de la permanence de l’objet, pré-requis à la représentation symbolique. Au cours de cette période, ces expérimentations spontanées vont l’amener à découvrir d’abord par hasard puis de façon intentionnelle des actions et des manipulations d’objets. Durant cette même période, il traversera une phase de confiance/méfiance puis d’autonomie/honte doute, qui l’amèneront à acquérir une confiance de base, et à accepter ses limites dans ses tentatives d’autonomie. C’est la manipulation et la locomotion qui seront d’abord privilégiés dans son développement moteur, dont le potentiel global dépend de son héritage familial. Il pourra ensuite être soutenu grâce à la motricité fine à travers différents défis proposés par l’adulte ou les pairs.

À partir de 2 ans, l’enfant en phase d’autonomie croissante valide ses acquis par des initiatives et cerne davantage son environnement et ses limites (initiative/culpabilité). Ses fonctions cognitives s’affinent principalement grâce au développement de ses représentations mentales. Elles se caractérisent par l’utilisation de symboles et leur mise en relation dans la réalité par le dessin, le langage, le jeu symbolique, l’imitation différée et l’image. Plus l’enfant mature, plus son jeu se complexifie et lui permet d’envisager les choses à l’extérieur de lui-même. Il transcende alors les limites de la pensée préconceptuelle (l’égocentrisme, la centration. La pensée statique, la non réversibilité et les préconcepts).

Ce chevauchement de stades de développement selon les différentes sphères conduit à les mettre en relation avec le regroupement multiâge. En effet, entre 18 mois et  5 ans se développe le cheminement préopératoire. Celui-ci implique la maîtrise de la permanence de l’objet avant 2 ans. Dans le même ordre d’idées, 2 stades du développement psychosocial  de l’enfant sont vécus durant cette même période et vont dans le sens de l’acquisition d’habiletés de contrôle sur soi-même et sur l’environnement pour ensuite être capable de se fixer des buts. Mais comme chaque enfant est unique, il est possible que ces explorations perpétuelles chez l’enfant avec le soutien de l’adulte se fassent à des moments différents, et pourront être vécues au rythme de chacun puisque ces différents développements s’inscrivent dans une certaine continuité. À la lumière de ces éléments, plusieurs interventions pourraient soutenir le développement de l’enfant de façon globale et intégrée durant son passage dans un groupe multiâge. Le jeu symbolique et tout ce qu’il implique, l’autonomie de l’enfant et ses initiatives notamment en favorisant l’exploration dans le jeu devraient être privilégiés. Dans cette perspective, des bacs de manipulation devraient être accessibles, auxquels s’ajouteraient autant d’objets en lien avec l’expérimentation, qu’avec la représentation mentale (jeu symbolique). Le coin symbolique doit dépasser le cadre du coin déguisement puisqu’il y a interdépendance des conduites symboliques. Par exemple, la disponibilité du matériel de dessin semble nécessaire et confirmée si l’on respecte en parallèle les stades de développement psychosocial (autonomie, initiative).

Certes la démarche est complexe mais démontre que bien qu’il n’y ait pas de liens évidents entre les théories, elles se complètent et intègrent le développement dans une dimension globale chronologiquement où certains éléments sont interdépendants et d’autres hiérarchiques les uns par rapport aux autres.

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(*) Il est important de préciser que le fonctionnement en multiâge au Québec implique que le regroupement des enfants respecte plusieurs conditions en installation (cpe-garderie). L’âge minimum ne peut être inférieur à 18 mois et ne peut dépasser 5 ans (MFA, 2007). Mais le ministère ne donne pas de définition claire sur le multiâge même si le terme est utilisé dans ses données statistiques. Ces 2 âges limites sont uniquement les balises qui précisent qu’avant 18 mois, il y a la pouponnière et qu’après 5 ans, la maternelle.

À l’intérieur de cette constante, différentes variables peuvent conduire à des fonctionnements internes variés selon les structures. Il peut y avoir une faible différence ou une grande différence d’âge entre le plus jeune et le plus âgé du groupe, mais sans être inférieure à 1 an d’écart puisque dans ce cas, il s’agirait d’un groupe d’âge homogène. Par exemple, il existe des groupes 18 mois -5 ans, 18 mois – 3 ans et 3-5 ans, etc. La pouponnière, quant à elle, accueille des enfants de quelques mois à 18 mois, voir 2 ans s’il n’a pas ses 18 mois au 30 septembre de l’année. Ce qui est le cas des bébés de printemps. Si Junior né en avril 2012, il a 1 an en avril 2013 et 18 mois en octobre 2013. Il est donc trop jeune pour intégrer le groupe des 18 mois et plus, à la rentrée de 2013. En milieu familial, l’écart d’âge varie selon le milieu mais peut atteindre un écart maximal de 4-5 ans entre le plus jeune et le plus vieux, puisqu’il n’y a pas de distinction d’âge autour de 18 mois. Le regroupement multiâge est donc possible en pouponnière (0-2ans), dans les autres groupes (18 mois-4 ans) ou (18 mois-5ans) et en milieu familial (0-5ans).

BIBLIOGRAPHIE

BERGERON, A. et BOIS, Y. 2000. Quelques théories explicatives du développement de l’enfant. Québec : Soulières Éditeur.

CLOUTIER, R., GOSSELIN, P. et TAP, P. 2005. Psychologie de l’enfant. 2e édition. Montréal : Gaëtan Morin Éditeur, Chenelière Éducation.

LAUZON, F. 1990. L’éducation psychomotrice : source d’autonomie et de dynamisme. Montréal : PUQ.

MFA. 2007. Programme éducatif.